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XV sec.

OVIDE MORALISÉ EN PROSE, texte du quinzième siècle, livre IV

Testo tratto da: Ovide moralisé en prose (texte du quinzième siècle). Edition critique avec introduction par C. De Boer, North-Holland Publishing Company, Amsterdam 1954.

Commest Alchitoé commença à compter des fables, par especial de Piramus et de Tisbé, de leurs amours, pour soy desennuyer.

…Mais je laisseray atant ces choses et vous diray une autre fable plus belle et plus nouvelle: comment la more devint noire, qui souloit etre blanche. Si est, dist elle, assavoir que en la cité de Babilone furent deux hommes moult notables et riches, demourans l’un jouxte l’autre, si orent deux beaulx enfans, qui assez s’entreressemblirent de meurs et de face, c’est assavoir ung filz, que Ovide nomme Piramus, et une fille, qui fut appellée Tisbé. Lesquelz avant qu’ilz eüssent sept ans de aage furent plus enamourez l’un de l’autre que leur aage ne requeroit. Cars leurs beaultez, leurs gaiz couraiges, leurs hantemens, leurs tenz, leur riz et que chacun jour s’entrevoyoient. leur anticipèrent et esmeürent les aguillons d’amours, qui tousjours depuis les poignirent de plus en plus jusques à la mort, combien que en icelluy jeune aage ne desirassent se non s’entrevoir et jouer par chacun jour ensemble avecques les autres enfans de leur temps et jusques à ce qu’il orent dix ans d’aage ou environ. Mais pour ce que en ce monde n’a jamais aucun bien qui n’ayt envieux et que ung homme de condition serve apparceüt leurs contenances portans et demoustrans grans signes d’amour mutuelle entr’eulx, si ala dire à la mère d’icelle damoiselle qu’elle s’en donnast garde et que se ces dits deux enfans estoient en aages de leurs amours essayer, grant danger y auroit d’eulx entredeshonnorer. Et à ceste cause fut la dite fille Tisbe tousiours retenue dedans la maison et de si près gardée que plus n’ala jouer avec Piramus. De quoy sourdirent grans dissencions et noises entre leurs parens. Et si fist icelle separacion et garde alumer et aviver de plus en plus le feu de leurs amours, combien que plus ne s’entreveïssent obstans le grans gardes qui sur eulx furent mises. Puis qu’ilz orent passé quinze anç, alors se bouta la flamme de leurs amourètes si avant dedans leurs cueurs que à peine qu’ils n’ardoient comme feu en paille, qui tousiours croissoit, et non pas sans en souffrir si dures douleurs et continuelles langours comme possible leur estoit de souffrir tant, que la dite Tisbé s’en evanouit pluseurs foiz. Et se la dite Tisbé estoit durement malade d’icelle maladie, l’en peut pencer et dire que Piramus de sa partie n’en estoit pas sain, ains en estoit si aigrement tourmenté que nuyt ne jour ne cessoit d’y pencer en faisant regraiz infiniz et doloureux avecques prieres moult devotes aux dieux qu’ilz luy voulsissent secourir. Et tant en fut asprement et longuement affligé que il en cheüt en pamaison sur le pavè de sa maison ou prison.

 

III . Comment le dit Piramus et Tisbé parlèrent l’un à l’autre par un petit pertuis qu’ilz trouvèrent dedens le mur qui estoit près leurs chambres, et commment ilz s’entreprins drent d’aller la nuyt de hors à une fontaine.

Après ce que ces ditz deux pouvres amoureux, Piramus et Tisbé, orent ainsi faictes leurs lamentacions et piteux regraiz, comme dit est, et toujours perseveroient en leurs amours de plus en plus, advint que en la paroy d’entre leurs chambres où l’en les tenoit separez soubz fortes gardes ilz trouvèrent ung petit pertuis, par lequel ilz parlèrent l’ung à l’autre comme en conseil. Et après pluseurs parolles dittes entr’eulx furent d’accord ensemble et s’entre promisdrent que durant la nuyt lors prouchaine à venir chacun d’eulx s’en yroit rendre à une fontaine qui dehors sourdoit soubz ung morier, la où le feu roy Nynus avoit esté enterré, affin qu’ilz y peüssent parler ensemble tout à leur aise. Puis pour acomplir sa dite promesse y ala Tisbé la premiere, disposée de y attendre son amy Piramus. Mais sa joyeuse attente fu tantost muée en crainte mortelle. Car elle vit passer par my la prée une lyonne venant boire à icelle fontaine après ce qu’elle avoit près d’ilec estranglé et devoré aucunes bestes, dont elle avoit encores sa muffle ensanglantée de leur sang. Et quant Tisbé la vit venir, elle s’en fouyt vers la forest par une sente soy mucier soubz ung almandier, et en fuyant luy cheüt sa guymple assez près d’icelle fontaine. Puis, quant icelle lyonne fut assouvye de boyre, elle se esbata par mi les près et y trouva la dite guymple, dont elle se jouva et de sa gueulle, qui estoit encore sanglante du sang des dites bestes, l’ensanglanta. Puis, quant elle fut yssue dey prez et Piramus fut là venu, qui y trouva la dite feumple ainsi sanglante, il pensa que sa dicte amye Tisbé eüst esté là devorée de la dite lyonne, dont il cogneüt les pas et la trace, et si trouva l’eaue d’icelle fontaine troublée tant des piez d’icelle lyonne, qui beü y avoit, comme à cause du sang dessus dit, dont elle avoit les machoueres sanglantes, comme dit est. Si cuida Piramus que ce feüst du sang de sa dite amye, car il ne la trouva pas et bien savoit qu’elle y estoit venue paravant luy.

 

IV . Comment Piramus se plaignit et puis s’occist pour s’amie qu’il cui doit morte. Et comment Thisbé se plaignit et puis se occist semblablement pour l’amour de son amy.

Quant Pyramus ne trouva de s’amye si non la guymple tachée de sang et cuida qu’elle fust devorée de la lyonne, il se print a desconforter et lamenter piteusement…. Hé las, dist il, pouvre amoureux que je suis, quant pour mes amours suis maintenant venu à ce malheur que sans en joïr j, ay perdu m’amye. Hé, morier, qui mort signifies, et tu, fontaine de douleur, et vous, prez parez de tristesse et triste verdure, et tu, guymple denonciatrice de desespoir, trop m’est muée la consolacion joyeuse que j’esperoye avoir o vous en lamentacions améres,

 

Quant j’ay perdu ma seulle joye,

Que sur toutes choses j’amaye.

Las! Hé my, la coulpe en est moye,

Si n’ay pas tort se je m’esmoye.

Mais impugny n’en demouray,

Ainçois yci endroit mouray,

Et en lieu de ma dame simple

En mourant beseray sa guymple

Quant du corps de ma dite amye

Ne puis avoir autre coppie”.

 

Lors tira Piramus son espée, dont par my le corps se frappa. Et tant comme il tiroit les traicts de sa mort s’en retourna Tisbé devers la fontaine en esperance de y trouver son amy venu et luy faire joyeuse chiere. Lors icelle Tisbé, desireuse de son amy veoir et aussi pour doubte qu’elle avoit de trop se faire attendre, revint diligemment devers la ditte fontaine, comme celle qui moult convoitta raconter à son amy le peril où elle avoit esté. Mais le plaisir qu’elle y pensoit avoir ne luy dura guères. Car en approuchant vit que les mores du morier qui là estoit furent noires, qui par avant estoient blanches si oyt le sanglotz de la mort que fasoit encores son amy Piramus, et puis regarda sa guymple sanglante qu’il baisoit. Mais lors fut sa douleur terrible, quant elle vit son dit amy naffré de son espée mesmes par my le corps, si se pasma icontinent. Et puis qu’elle en fut respirée fist lamentactions lugubres, c’est à dire piteuses et douleureuses, comme chacun qui a sens et entendement raisonnable le peut penser.

 

“O, dist elle, pouvre adolée

Et desconfortée que je suis!

O, fortune desmesurée,

Qui n’as soufferte n’endurée

Ma seulle joye avoir,durée

Ung seul moment!

Hé, amours, qui premierement

commençastes joyeusement,

Trop finissez piteusement,

En mon endroit!

Hé las, ce n’est pas selon droit

Qu’ainsi departir me fauldroit

Comme il me fault yci endroit.

Hé las, mon cueur,

Qui pour moy mouvera douleur,

Dont je pers toute ma vigueur,

J’en vueil bien pareille rigueur,

De mort souffrir,

Si suys bien contente d’offrir

Mon pouvre corps et cy mourir

Sans plus vivre ne langourir

Avecques vous.

Yci je vous baise, amy doulx!

“Adieu” vous dy ung mot pour tous,

Car cy ensemble mourans nous”.

 

Ces choses dictes la damoiselle Tisbé, après le dit derrenier baisier donné à son amy, print la dite espée de Piramus et la pointe en mist au droit de son cueur, si se laissa cheoir dessus, par quoy elle passa de part en part, et le corps d’elle cheüt tout mort dessus celui de Piramus. Et en ce point finèrent piteusement leurs jours et leurs amours ensemble sans en joïr. Ainsi doncques apert comment finérent le deux pouvres amans leur vie, dont furent leurs parens moult douloureux et desolez, quant ainsi les trouvèrent, et les firent poser ensemble dedans ung seul tombeau. Et en signe d’icelle douleur fut trouvée la blancheur de la more muée en noire couleur.

 

V. S’en suit l’alegorie de la fable cy dessus alleguée de Piramus et Tisbé

Des cieulx voulut Dieu jadis descendre en ce monde plain de misère. Et tant luy pleüt soy humilier et abaisser sa deïté qu’il daigna prendre char humaine et homme devenire pour nous sauver, si fut vray Dieu et vray homme ensemble, lequel fut en la croix pendu. Et combien que sa divinité ne laissast oncques son humanité toutes voies sa dite humanité suelement souffrit les peines de sa mort et Passion. Et tant comme par sa mort fut son amee separée de son corps, sa deïté fut tousjours avecques son corps et avecques son ame, sans les laisser. Et pour memoire de sa dite Passion et autres haulx benefices que nous avons de luì receüs et qui nous sont innombrables, le devons nous amer et craindre sur toutes choses, et pour son amour pacientement porter et soustenir les afflictions et misères qui nous adviennent et l’en remercier humblement. Et si devons amender nos vies en delaissant nos pechiez et en faire penitance pour en avoir de luy pardon et nous occuper en bonnes euvres tant que povons, afin qu’il luy plaise nous sauver de sa grace et misericorde et par le merite de sa saincte foy catholique et de sa dite Passion, comme firent les benoistz martirs et autres glorieux saincts et sainctes, qui en sont sauvez en paradis. Ce que ne font plus guères de gens au temps present, dont c’est pitiè. Mais icelluy Seigneur au jour du grant Jugement reviendra en sa maiestè et jugera les bons et les mauvais souffrira devorer au lion d’enfer, dont nous vueille nostre dit Sauver Jhesuerist garder.